Eureka Street de Robert McLiam Wilson

« Il y a avait trois versions fondamentales de l’histoire irlandaise : la républicaine, la loyaliste, la britannique. Toutes étaient glauques, toutes surestimaient le rôle d’Oliver Cromwell, le vioque à la coupe de cheveux foireuse. J’avais pour ma part une quatrième version à ajouter, la Version Simple : pendant huit siècles, pendant quatre siècles, comme vous voudrez, c’était simplement tout un tas d’Irlandais qui tuaient tout un tas d’autres Irlandais.
Nous avons avalé la fin du repas en même temps que les immondes couleuvres d’Aoirghe. Je n’écoutais même plus ses sornettes. Elle manifestait la foi inébranlable de la fanatique bourgeoise, et ça lui allait comme un gant. Personne n’allait venir chier dans son nid. J’ai envié les gens cultivés qui s’enthousiasmaient pour les révolutionnaires. Islington en était bourré. C’était sans doute très amusant tant qu’on ne risquait pas sa peau.
A la fin du repas, Chuckie était blanc comme un cadavre. Les envolées de l’autre imbécile avaient interrompu l’intimité qu’il commençait de créer avec Max. J’ignore quelle idée saugrenue il s’était faite sur Aoirghe et moi, mais je n’allais sûrement pas l’emmener quelque part pendant que Max et lui fileraient le parfait amour chez elle. D’accord, Chuckie était un ami, mais Aoirghe me donnait de l’urticaire. »

Dans un Belfast livré aux menaces terroristes, les habitants d’Eureka Street tentent de vivre vaille que vaille. Chuckie le gros protestant multiplie les combines pour faire fortune, tandis que Jake le catho, ancien dur au cœur d’artichaut, cumule les ruptures. Autour d’eux, la vie de quartier perdure, chacun se battant pour avancer sans jamais oublier la fraternité.

Un magnifique roman sur l’amitié et l’amour, dans un Belfast déchiré par les attentats et les mouvements de protestation. Des thèmes forts sont abordés : la religion, le terrorisme, la pauvreté, l’homosexualité ; toujours au travers du regard de nos protagonistes empathiques, naïfs ou intransigeants. La plume de McLiam Wilson est à la fois douce et captivante. Les passages aux côtés de Chuckie et son humour décalé sont assez drôles, quand Jake tente d’avoir un regard neuf sur ce qui l’entoure et joue la carte de l’humour grinçant.

D’un côté il nous semble connaître par cœur le conflit nord-irlandais, notamment grâce à Bloody Sunday, que ce soit la chanson de U2 ou le film de Paul Greengrass ; d’un autre côté le quotidien des habitants de Belfast, à l’écart de ce que peuvent nous exposer les média, nous est inconnu. Et c’est là que l’œuvre de McLiam Wilson est marquante : elle nous plonge, sans concession, ni fioriture, dans l’ordinaire des Belfastois. De Chuckie, le protestant qui rêve d’être pris en photo avec le Pape, à Aoirghe, irlandaise pure souche, bourgeoise et révolutionnaire, en passant par Roche le gamin des rues maltraité et bravache, l’auteur nous dévoile la vie d’Eureka Street. Rythmée par les attentats, la pauvreté et la violence, baignée dans les débats politiques, égayée par l’amitié, les discussions culturelles, l’entraide et la Guinness, cette immersion dans la vie de quartier est terriblement saisissante et passionnante. Les histoires de cœur ont la part belle et apportent un peu d’espoir au milieu des morts qui ne sont pas toujours faciles à comprendre. Jake le bagarreur apprend l’empathie et tente d’améliorer un peu la vie des autres. C’est avec regret que l’on quitte ces irlandais, leur quotidien et leur groupe d’amis dont on ferait presque partie et qu’on rejoindrait bien au Wigwam autour d’une bière et de discussions animées !

Robert McLiam Wilson est un écrivain nord-irlandais, né à Belfast ouest en 1964, dans un quartier ouvrier catholique. Il a écrit 4 ouvrages et reçu de nombreux prix, notamment pour Ripley Bogle, une fiction autobiographique.
Depuis 2016, il est contributeur à Charlie Hebdo.

545 p., 10/18 Christian Bourgeois éditeur (1997), Traduit de l’anglais (Irlande) par Brice Matthieussent.

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