
« D’accord, j’ai paniqué. J’avais mis les pieds dans la merde et j’étais mort de peur. Quand vous n’êtes pas régulièrement confronté à ce genre de choses, vous perdez le coup pour y faire face, vous perdez cette couche de cynisme qui vous permet, devant un corps démoli, de secouer la tête une fois puis de retourner à vos occupations. J’ai chamboulé les preuves, j’ai fait obstruction à la justice, et je me suis enfui en laissant le cadavre calé comme une pièce de bœuf sur le siège avant. Et j’ai couru.
Au début de ma longue course vers le haut de la piste et ma voiture de location, je ne parvenais pas à inspirer suffisamment d’air dans mes poumons, et lorsque j’arrivai au cul-de-sac après le lacet, je m’effondrai par terre contre la portière du côté conducteur, sanglotant, aspirant un air vide, réfléchissant, essayant de me rappeler comment l’on faisait pour survivre dans un monde en guerre. Réfléchis. »
L’ancien privé Milo Milodragovitch s’est quelque peu assagi : il s’est trouvé un job paisible d’agent de sécurité à Meriwether, Montana, en attendant de pouvoir toucher l’héritage parental le jour de ses cinquante-deux ans. Quand une riche vieille dame, ancienne maîtresse de son père, lui confie une enquête si facile qu’elle ne semble pas justifier ses généreux émoluments, l’aubaine est trop alléchante pour résister. Mais ce qui devait être une mission de routine ne tarde pas à exploser en tous sens et se transforme en une course frénétique entre voitures en feu, lancers de grenades, tirs de mitrailleuses et rails de cocaïne.
Il m’aura fallu suivre une Fausse Piste, puis profiter d’un Dernier baiser, pour me retrouver, quelques livres plus tard, entraînée dans la Danse de l’Ours. Milo Milodragovitch reste fidèle à lui-même : des rails de cocaïne, des shots de schnaps, de jolies femmes délurées, des armes en tout genre, des acolytes cabossés, une enquête fracassante, la modération envolée dans les éclats de grenades, le tout dans le décor grandiose du Montana !
Fidèle lectrice de Jim Harrison, j’étais ravie de découvrir James Crumley, ses personnages tourmentés, enragés, cyniques et le cadre magique du Montana. J’ai essayé de lire la série dans l’ordre, et c’est après Fausse piste et Le dernier baiser que je découvre La danse de l’ours. L’écriture est très rythmée, parfois crue, parfois poétique, et les événements s’enchaînent rapidement. J’aime beaucoup le mélange d’émotions que l’on peut trouver dans les livres de Crumley : rêveries et évasions face aux montagnes bleutées, aux forêts dont on perçoit presque l’odeur, à la météo changeante ; danger et excès dès que le détective sort un peu de sa tanière et se retrouve mêlé à des affaires tumultueuses. Je dois avouer me perdre un peu parfois dans les descriptions de l’auteur, je ne sais plus si on est parti à gauche, à droite, si on a fait demi-tour, si on est hors de danger, mais cela reflète aussi parfaitement bien la confusion liée au mélange des drogues et le chaos dans la vie de Milo. Cet antihéros, malgré son goût prononcé pour les substances en tout genre, n’a pas froid aux yeux, essaie d’apporter son aide comme il peut, notamment à un vétéran du Vietnam complètement paumé, tombe souvent amoureux et en devient vite attachant.
James Crumley est né en 1939 au Texas et mort en 2008 dans le Montana. Il a écrit La danse de l’ours en 1983, c’est le deuxième tome de la série Milo Milodragovitch qui comprend aussi Fausse piste, Les serpents de la frontière et La contrée finale. En parallèle de cette série, trois autres ouvrages font intervenir un autre privé, C.W. Sughrue : Le dernier baiser, Le canard siffleur mexicain et Folie douce. Dans Les serpents de la frontière, les deux héros (ou antihéros !) se retrouvent.
308 p., Éditions Gallmeister (2018), Traduit de l’américain par Jacques Mailhos, Illustrations d’Aude Samama.
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