Indian Creek de Pete Fromm

« Au bout d’un moment, je fus trop à l’étroit dans la tente. Je sortis en courant, passant près de la rivière en donnant des coups de pied dans la neige qui s’envolait dans les airs. Je ne m’arrêtai que pour allumer la pipe que mes camarades de l’université m’avaient offerte, parce que, évidemment, tous les hommes des bois fument la pipe. Je n’avais jamais fumé auparavant, et cela m’amusa beaucoup, même si je n’arrivai pas à la garder allumée. Je ne cessai de rire sans raison, envoyant des bouffées de fumée dans la pénombre bleue du soir qui tombait. Je me précipitai vers la tente afin de relire toutes les lettres. Je portais la paire de mukluks en peau de mouton que j’avais fabriqués et me sentais léger comme la neige. Il y avait de la glace dans ma barbe et, tout en l’ôtant, je repris mon courrier depuis le début.
Le soir, pourtant, une fois le courrier relu si souvent que le charme en était rompu, l’excitation retomba et je sentis combien tous ces gens me manquaient. La soirée fut mélancolique. Mais déjà, après deux mois passés ici, ce sentiment s’était atténué et la solitude désespérée du début, cette solitude qui me prenait à la gorge, s’était muée en une émotion lancinante que je savourais presque. »

Le garde commença à parler de bois à brûler. Je hochais la tête sans arrêt, comme si j’avais abattu des forêts entières avant de le rencontrer.
– Il te faudra sans doute sept cordes de bois, m’expliqua-t-il. Fais attention à ça. Tu dois t’en constituer toute une réserve avant que la neige n’immobilise ton camion.
Je ne voulais pas poser cette question, mais comme cela semblait important, je me lançai :
– Heu… C’est quoi, une corde de bois ?
Ainsi débute le long hiver que Pete Fromm s’apprête à vivre seul au cœur des montagnes Rocheuses, et dont il nous livre ici un témoignage drôle et sincère, véritable hymne aux grands espaces sauvages.

Une tente, le froid mordant, la neige, les falaises escarpées de la vallée de la Selway, la rivière, les saumons, Boone la jeune chienne, la faune sauvage, un garçon spontané qu’une expérience exceptionnelle va profondément changer. Pete Fromm nous emmène au cœur d’un fragment de sa jeunesse. L’écriture est fluide, j’ai ressenti le froid, l’humidité, j’ai entendu la glace craquer, imaginé la pluie sur la tente, éprouvé ses craintes et ses instants de bonheur. Un magnifique récit initiatique !

Après un hivernage dans les terres australes, un contact avec la nature intense et privilégié, ce sentiment d’être seule au monde dans un lieu avec lequel on fait corps pendant quelques mois, la plume de Pete Fromm a éveillé en moi de nombreux souvenirs. Le jeune garçon qu’était l’auteur est attachant, drôle, intéressant et Fromm nous retranscrit parfaitement ses émotions, sans exagération. Les paysages sont à la fois magnifiques, hostiles, envoûtants, nimbés dans la lourdeur de la neige qui semble absorber les sons. Le héros grandit au milieu de cette nature, il apprend à écouter, à voir, à ressentir. Seul sans regard extérieur pour juger, il ose et devient plus mature. Récit de la solitude, ce roman met aussi en exergue la profondeur de l’amitié. Rader, l’ami de Pete Fromm, adepte de récits de trappeurs, est à la fois un élément déclencheur du voyage, un compagnon indispensable à la préparation des vivres et du matériel, un lien avec le monde réel qui pourrait être vite perdu dans de telles conditions. La présence de la petite chienne Boone semble aussi un élément clé pour éviter de sombrer dans la nostalgie et un trait-d’union avec la faune environnante. Ce récit d’une aventure hors du commun est fait sans prétention, avec délicatesse et poésie, même dans les descriptions de chasse. Premier roman de Pete Fromm il donne fortement envie de découvrir le reste de son œuvre. Un incontournable que je vous recommande vivement !

Pete Fromm a d’abord fait des études de biologie animale avant de devenir écrivain un peu par hasard, après avoir suivi des cours d’écriture pour valider son diplôme universitaire. Ces autres romans (Comment tout a commencé, Lucy in the sky, etc.) ont été vivement salués par la critique.

251 p., Éditions Gallmeister (2006), Totem récit (2017), Traduit de l’américain par Denis Lagae-Devoldère, Titre original : Indian Creek Chronicles.

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