Sur quoi repose le monde de Kathleen Dean Moore

« Les géographes établissent des cartes détaillées de la terre, à l’aide de photographies aériennes et de données provenant de satellites. Ces cartes sont des objets d’une grande beauté, avec des traits clairs et nets, des pixels et des à-plats de couleur. Puis les géographes se rendent sur les lieux qu’ils ont cartographiés, pour suivre les rivières et parcourir des transects à travers le pays. Leur travail consiste à vérifier l’exactitude des cartes sur le terrain, à établir un lien entre les motifs abstraits de la carte et la réalité du terrain – la sensation qu’elle laisse, les forêts et les villes, les estuaires et le bord brillant de l’eau.
Je veux vérifier sur le terrain l’éthique environnementale, enfiler des bottes en caoutchouc et suivre la marée descendante dans les estrans – écouter, poser des questions, fouiner, explorer là où les palourdes font jaillir des fontaines et où les enfants rient fort, me faire une idée de l’ensemble du paysage, essayer dans une faible mesure de comprendre qui je suis ici et maintenant, et ce que je devrais faire. »

Regarder le monde, c’est regarder les êtres aussi bien que les lieux. On peut ainsi mieux comprendre et mieux les préserver. Mais surtout, se connecter au monde est une nécessite vitale pour chacun de nous. Nous n’avons pas seulement besoin du milieu naturel pour notre survie, nous dépendons affectivement de lui. Nous sommes tous liés de mille manières insoupçonnées. C’est sur une petite île de l’Alaska, entre nature préservée, faune sauvage et océan somptueux que Kathleen Dean Moore nous emmène pour nous apprendre à approfondir ces liens indispensables.

Un récit sensible et d’une grande richesse sur les liens que nous pouvons tisser avec un lieu dans lequel nous nous trouvons accomplis et comblés d’une sensation de plénitude réconfortante. Ce lieu dont nous connaissons le moindre bruit, la moindre odeur, les êtres vivants qui le peuplent et qui pourtant peut continuer à nous surprendre si nous savons l’aimer et l’écouter. Entre anecdotes, moments de vie de l’autrice, digressions philosophiques et petites histoires aux douces saveurs d’automne, Kathleen Dean Moore nous propose de porter un nouveau regard sur notre quotidien et la nature qui nous entoure, de prendre le temps, de se laisser porter et de ressentir, car nous avons besoin de ce rapport à la nature sauvage. Un texte tout en retenue qui procure le plus grand bien et nous amène à réfléchir, entre musique et appel du loup, étoiles filantes et plancton bioluminescent, diaporamas naturalistes et réminiscences.

Un sublime moment de lecture pour ma part. Ce magnifique récit n’a pas fait beaucoup de bruit à sa sortie et pourtant je ne peux que vous enjoindre à vous y plonger et à vous laisser envoûter par la douceur et la profondeur de ses mots qui se prêtent parfaitement à une lecture sous le plaid avec un thé bien chaud. Cela avant d’avoir l’envie, malgré le froid qui s’annonce, d’enfiler vos bottes et votre imper, de vous équiper de votre meilleur duvet et de votre frontale pour aller écouter le monde qui vous entoure. J’ai commencé la lecture de ce livre le jour même où j’ai été surprise par un sanglier dans un parc. Elle m’a ramenée notamment dans les terres australes où le contact avec la nature a été pour moi le plus fort, une immersion totale auprès d’animaux sauvages, de la météo capricieuse, loin du numérique et de l’empressement du quotidien. Une expérience qui m’a beaucoup marquée, dont il me reste énormément de sensations et lors de laquelle j’ai ressenti un bien-être, sur la plage au milieu des manchots royaux, que je n’ai jamais pu retrouver. Cette citation extraite de Sur quoi repose le monde résume parfaitement la situation : « Je crois que la plus belle chose que l’on puisse dire à quelqu’un c’est « Regarde » ». L’autrice possède un phrasé qui nous berce, les descriptions sont telles que je me voyais auprès d’elle à tout instant, c’est doux, poétique, sans oublier une vision plus naturaliste, mêlant les termes techniques aux émotions. Alors Kathleen Dean Moore nous invite à repenser notre rapport à la nature, à réfléchir au sens des mots et de notre quotidien et l’on ne peut qu’être charmés par de splendides passages où le chant du loup se mêle au jeu d’une pianiste de concert : « Je connaissais la chanson que chantait le loup. Les deux premiers tons formaient une quarte augmentée, un intervalle dissonant, comme les deux premières notes de Maria dans West Side Story. C’est un intervalle de désir, d’espoir – le son de la nostalgie humaine. » ; où les étoiles nous submergent : « Je secouai le varech du rocher – un jet d’étincelles – puis levai mes mains en coupe. La lumière des étoiles inonda mes paumes et dégoulina d’entre mes doigts dans l’eau, où elle fusa avant de disparaître. Je lançai un jet d’étincelles dans la baie. Que pouvait-il y avoir de plus merveilleux ? Des étoiles au-dessus de nous, des étoiles en-dessous, des étoiles explosant dans nos mains. ». Je ne vous en dévoile pas plus et vous laisse à votre tour découvrir cette petite pépite du nature writing 🙂

Kathleen Dean Moore est née en 1947 dans l’Ohio, elle est écrivaine, philosophe, professeure et naturaliste. Elle a écrit de nombreux essais et récits de philosophie de la nature dont le célèbre Petit traité de philosophie naturelle également publié aux éditions Gallmeister.

293 p., Éditions Gallmeister pour la traduction française (2021), Édition originale : 2004, Titre original : The Pine Island Paradox, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Josette Chicheportiche.

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