
« Si elle n’en a pas l’exclusivité, la célibataire incarne l’indépendance féminine sous sa forme la plus visible, la plus évidente. Cela en fait une figure haïssable pour les réactionnaires, mais la rend aussi intimidante pour nombre d’autres femmes. Le modèle de la division sexuelle du travail dont nous restons prisonniers produit aussi d’importants effets psychologiques. Rien, dans la façon dont la plupart des filles sont éduquées, ne les encourage à croire en leur propre force, en leurs propres ressources, à cultiver et à valoriser l’autonomie. Elles sont poussées non seulement à considérer le couple et la famille comme les éléments essentiels de leur accomplissement personnel, mais aussi à se concevoir comme fragiles et démunies, et à rechercher la sécurité affective à tout prix, de sorte que leur admiration pour les figures d’aventurières intrépides restera purement théorique et sans effet sur leur propre vie. »
[…] « Les garçons sont incités à envisager leur trajectoire future de la façon la plus aventureuse possible. Conquérir le monde tout seul représente le destin le plus romantique qu’ils puissent imaginer, en espérant qu’une femme ne viendra pas tout gâcher en leur mettant le fil à la patte. Mais, pour une femme, la perspective de tracer son chemin dans le monde est dépeinte comme triste et pathétique aussi longtemps qu’il n’y a pas un type dans le tableau. Et c’est une tâche si énorme que de réinventer le monde en dehors de ces conventions étroites ! »
Qu’elles vendent des grimoires sur Etsy, postent des photos de leur autel orné de cristaux sur Instagram ou se rassemblent pour jeter des sorts à Donald Trump, les sorcières sont partout. Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure. La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l’Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ? Quels types de femme ces siècles de terreur, ont-ils censurés, éliminés, réprimés ? Ce livre en explore trois et examine ce qu’il en reste aujourd’hui, dans nos préjugés et nos représentations : la femme indépendante – puisque les veuves et les célibataires furent particulièrement visées ; la femme sans enfant – puisque l’époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée – devenue, et restée depuis, un objet d’horreur. Enfin, il sera aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s’est développé alors tant à l’égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever.
Sorcières, la puissance invaincue des femmes est un essai dont j’avais beaucoup entendu parlé depuis sa sortie. Acheté et lu par ma petite sœur, puis prêté à ma sœur cadette et à ma maman, il m’attendait dans ma PAL depuis un petit moment. Peut-être est-ce l’atmosphère automnale mais il m’a semblé qu’il était enfin temps de m’y plonger. J’ai eu beaucoup de plaisir à lire cet ouvrage qui amène à réfléchir sur de nombreux sujets liés à la condition féminine, à mettre en perspectives des choses qui peuvent nous sembler naturelles, acquises et qui ne le sont pas du tout. En introduction Mona Chollet nous rappelle l’historique des chasses aux sorcières, qui loin du charme et de la fantaisie qui peuvent à présent y être associées (au cinéma ou dans les romans), ont été dévastatrices et pouvaient toucher n’importe quelle femme comme vous et moi. Puis l’autrice revient sur trois aspects attachés aux sorcières et dont les échos sont encore prégnants aujourd’hui. La première partie donne des clefs pour repenser notre perception de la femme vivant seule. Elle n’est pas nécessairement esseulée et dans l’attente du prince charmant. Elle peut mener une vie tout à fait épanouie à l’opposé du cliché si ancré de « vieille fille aux chats ». La deuxième partie revient ensuite sur le désir de maternité et le contrôle de la fécondité. Vouloir des enfants n’est pas une fin en soi, n’est pas inéluctable et avoir des enfants ne rend pas forcément heureux comme notre société souhaite nous le faire croire. Le point fort de cet essai est de ne pas porter de jugement, de ne pas comparer les femmes ayant ou non un désir d’enfant, mais plutôt de montrer que chacune est légitime et que dans tous les cas il faut que « l’on puisse dissocier le destin féminin de la maternité » et que l’on cesse de brandir la menace « un jour, tu le regretteras ! ». « Peut-on se forcer à faire quelque chose qu’on n’a aucune envie de faire uniquement pour prévenir un hypothétique regret situé dans un avenir lointain ? » Avoir des enfants peut se révéler être une très belle aventure comme un regret, à chacun et chacune de savoir écouter ses envies. La troisième partie quant à elle aborde le sujet de la vieillesse des femmes et réhabilite la beauté des cheveux blancs, des femmes d’âge mûr, quand bien souvent il semble qu’il y ait comme une date de péremption une fois passée la fatidique quarantaine. Les stéréotypes nous mènent la vie dure. Cet essai m’a fait beaucoup de bien car il donne des éléments pour que chacune puisse s’y retrouver : femme seule, femme mariée, femme aux nombreux amants, jeune femme, femme âgée, femme mère, femme tante, et sans juger si l’une vaut mieux que l’autre, il permet à chacune de se sentir écoutée, de mieux se comprendre et de remettre en question certaines habitudes sociales. Une lecture que je recommande pour tous, de quoi se réconcilier avec soi-même et alimenter de longues discussions passionnantes, enrichissantes et épanouissantes.
Mona Chollet est née en 1973 à Genève. Elle est journaliste et essayiste et cheffe d’édition au Monde diplomatique. Elle a écrit plusieurs essais sur la condition féminine, ainsi qu’un ouvrage sur le lieu d’habitation. Son dernier livre, Réinventer l’amour, est paru en 2021.
229 p., Éditions La Découverte – label Zone (2018).
Une lecture importante! A faire découvrir autour de soi le plus possible.
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J’ai bien envie de lire Réinventer l’amour maintenant 😉
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