
« Alors, l’animal prit vie, une sorte de machine insolite se ruant droit devant, le garçon faisant tout son possible pour rester en selle. Ils allaient si vite qu’il en oublia d’être effrayé, sentant des larmes s’échapper lorsqu’il clignait des paupières, la créature lancée au grand galop sous lui, le vent qui lui fouettait les yeux.
Après cette envolée, Rodrigo l’aida à descendre. S’il avait la démarche raide, les jambes et l’entrejambe douloureux, il souriait encore dix minutes plus tard, tandis que son grand-père lui tapotait le dos, le souffle pénible.
« Je l’aime, déclara le garçon. On est comme frère et sœur. Je ne laisserai jamais personne nous l’enlever. »
Jim jeta une œillade à Rodrigo, qui sourit en retour. »
1995, Mount Holly, une ville de l’Indiana qui se meurt. Jim Falls, vétéran de la guerre de Corée, s’efforce d’éléver son petit-fils métis, Quentin, un ado taciturne qui oublie son mal-être en sniffant de la colle. L’élevage familial de poulets ne rapporte plus grand-chose, les dettes s’accumulent, l’avenir est sombre. Jusqu’au jour où une magnifique jument blanche taillée pour la course est livrée à la ferme par erreur. L’espoir renaît. Mais l’animal attise les convoitises et deux frangins parviennent à s’en emparer. Jim et Quentin se lancent alors sur leurs traces à travers une Amérique rurale oubliée pour tenter de récupérer la bête merveilleuse.
Ce roman relate le voyage d’un grand-père et de son petit-fils, à la poursuite d’une magnifique jument de course, seule lueur d’espoir pour la ferme qui périclite, et qui leur a été dérobée. La blancheur quasi argentée de l’animal insaisissable tranche avec la noirceur de ce road-trip, conte sombre dans le Midwest des années 90 : recherche d’un salut, quête d’un avenir, des liens qui se tissent entre deux êtres solitaires et singuliers, sur fond de drogues, de jeux vidéos et de guerre de Corée.
Déjà très attachée aux road-trips américains, notamment les ouvrages de Jim Harrison, je suis rapidement tombée sous le charme de Prodiges et miracles. Les personnages du grand-père et de son petit-fils sont profonds, ambigus et j’ai beaucoup apprécié les suivre dans leur recherche de la jument volée, voir leur relation évoluer et devenir plus solide, comprendre que ces deux hommes solitaires n’avanceront qu’en étant là l’un pour l’autre. On vibre avec eux dans cette quête, on espère à chaque ligne que l’issue sera heureuse malgré des rencontres antipathiques, des truands qui n’hésitent pas une seconde à sortir leurs armes. Les affres de la guerre de Corée se font ressentir à chaque instant, la drogue est omniprésente et les scènes sont décrites avec beaucoup de réalisme et de poésie. J’ai simplement regretté de ne pas en savoir plus sur certains personnages comme le mystérieux Rick.
Prodiges et miracles a reçu le prix Transfuge du meilleur polar étranger en 2018. Joe Meno est écrivain mais aussi journaliste, il a auparavant travaillé comme chauffeur-livreur et professeur dans un centre de détention pour mineur. Il est aussi connu pour avoir écrit Le blues de la harpie, et plus récemment La crête des damnés.
431 p., Agullo Éditions (2018), Collection Le livre de poche, Titre original : Marvel and a wonder, Traduit de l’américain par Morgane Saysana.
Votre commentaire