
« La porte du hangar était entrebâillée. Ester jeta un regard circulaire sur le local qui avait dû servir au stockage de tonneaux de vin. Trois ampoules pendaient d’un plafond tapissé de toiles d’araignées. Deux lucarnes, sur la paroi du fond, laissaient filtrer une faible lumière. Les murs étaient tachés d’humidité, une forte odeur d’alcool imprégnait le sol en terre battue. Louis se tenait derrière Ester, se faisant plus petit qu’il n’était.
Une formation de quatre musiciens, un trompettiste, un saxophoniste, un batteur et un joueur de banjo, assis sur des petits tonneaux, improvisait sans partition. Ester profita d’une pause pour s’adresser à celui qu’elle pensait être le leader :
– Excusez-moi de vous déranger… Je voudrais savoir si vous connaissez ce petit garçon qui vous écoute par un trou dans le mur ? »
En 1900, Ester Karnofsky a quitté la Lituanie et les persécutions antisémites pour émigrer à la Nouvelle-Orléans. Privée de ses deux fils, elle mène un existence terne au côté d’un époux dont elle s’éloigne peu à peu. Dans le quartier de la prostitution, elle rencontre par hasard un gamin livré à lui-même, turbulent et bagarreur, surnommé « Satchelmouth » à cause de sa bouche en sacoche. Il a sept ans, il est noir et abandonné par son père. Ester le prend sous son aile. Intriguée par son don pour la musique, elle lui offre, avec son mari, sa première trompette…
Nous connaissons tous Louis Armstrong, sa renommé internationale et son talent incontesté pour la trompette. En revanche peu d’entre nous savent d’où vient l’influent chanteur afro-américain si ce n’est peut-être du berceau du jazz. Et si tout ne s’était joué qu’à une rencontre ? un don deviné ? un cornet offert ? une lituanienne juive, émigrée, perdue dans une ville tumultueuse ? une mère aimante au caractère bien trempé ? C’est l’histoire que nous raconte Michèle Hayat avec douceur et sensibilité. C’est l’histoire de la naissance d’un grand homme, mêlée à de nombreux combats : l’antisémitisme latent, le racisme profondément ancré et l’émancipation des femmes.
Depuis toute petite j’ai été bercée par le jazz : Chet Baker et sa voix suave pour m’endormir, Stan Getz et ses airs de samba pour les soirées d’été, Louis Armstrong et ses réconfortants chants de Noël. Alors forcément un roman racontant l’enfance de « Satchmo », qui plus est une histoire se déroulant à la Nouvelle-Orléans (j’ai été une fervente addicte de la série Treme !), ma curiosité ne pouvait qu’être piquée. Même si les chapitres tournent autour d’Ester, la mère « adoptive » du petit Louis, nous vibrons aux rythmes chauds et métissés de la cité du jazz. Et plus qu’une biographie romancée de la jeunesse d’Armstrong, l’auteure nous fait voyager à travers l’histoire : le départ des juifs d’Europe pour l’Amérique, la ségrégation, la prostitution, les femmes qui prennent leur indépendance, l’installation à Tel-Aviv, l’ascension fulgurante du jazz. L’écriture est agréable avec des airs de pièce de théâtre. Les personnages ont des personnalités fortes : Ester, femme meurtrie et sensible, Mayann, courageuse et forte tête, Léo, partagé entre deux pays, Mrs Iona, optimiste et spontanée. J’ai passé un très bon moment en compagnie de cette petite communauté qui s’est créée à Storyville. J’aurai toutefois beaucoup aimé pouvoir passer plus de temps avec eux et j’ai regretté que le livre soit un peu court. Michèle Hayat s’est inspirée de nombreux faits réels et même si je suis restée un peu sur ma faim, elle m’a menée avec plaisir dans les pas du grand musicien.
La trompette de Satchmo est le premier roman de Michèle Hayat.
205 p., Éditions Écriture (2020).
Il a l’air chouette ce livre!
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