Circé de Madeline Miller

« Ce fut durant cette période que je me retrouvai un jour au milieu des épais fourrés de la forêt. J’adorais parcourir l’île à pied, de ses points les plus proches du niveau de la mer jusqu’à ses recoins les plus élevés, à la recherche de mousses, de fougères et de plantes grimpantes, ramassant leurs feuilles pour mes charmes. C’était une fin d’après-midi, mon panier débordait. Je tournai au coin d’un buisson, et le sanglier était là. […]
Il tapa du pied, la bave blanche dégoulinant de son groin. Il abaissa ses défenses et grinça des dents. Ses yeux de cochon disaient : Je peux briser une centaine de jeunes gens, et renvoyer leurs cadavres à leurs mères en larmes. Je vais t’arracher les entrailles et les manger pour déjeuner.
Je plantai mon regard dans le sien. « Essaie un peu », le défiai-je. Il me fixa longuement. Après quoi, il tourna les talons et repartit au galop, tressautant à travers les buissons. Je dois dire que, malgré tous les sorts que j’avais déjà jetés, ce fut la première fois que je me sentis vraiment sorcière. »

Fruit des amours d’un dieu et d’une mortelle, Circé la nymphe grandit parmi les divinités de l’Olympe. Mais son caractère étonne. Détonne. On la dit sorcière, parce qu’elle aime changer les choses. Plus humaine que céleste, parce qu’elle est sensible. En l’exilant sur une île déserte, comme le fut jadis Prométhée pour avoir trop aimé les hommes, ses pairs ne lui ont-ils pas plutôt rendu service ? Là, l’immortelle peut choisir qui elle est. Demi-déesse, certes, mais femme avant tout. Puissante, libre, amoureuse…

Madeline Miller nous invite à découvrir les mythes et légendes grecs par un nouveau regard, féminin cette fois, celui de Circé la Sorcière. Raillée car trop humaine, puis exilée sur l’île d’Æaea pour avoir contrarié Zeus, la demi-déesse découvre ses pouvoirs et nous partage l’existence de ses semblables : traîtrise, ruse, meurtre, métamorphose, fratricide, viol. Héros et dieux ne reculent devant rien. Et ce qui pouvait passer pour de la bravoure sous la plume d’Homère, semble finalement un jeu cruel d’avidité et de convoitise. L’auteure nous dépeint alors les affres du pouvoir et les désillusions amoureuses avec élégance, dans les pas de l’indépendante et immortelle Circé.

Ce roman est loin de mes lectures habituelles, et ce n’est pas forcément un style auquel je reviendrai spontanément. Cependant j’ai beaucoup apprécié la plume de Madeline Miller, très fluide, et cette plongée inhabituelle dans l’Odyssée qui m’a ramenée à mes lectures et mes passions de jeunesse. L’auteure nous propose une revisite de la mythologie très pertinente et au goût du jour : la sorcière, violée par un des hommes venus chercher du repos sur son île, décide alors de les transformer tous en cochons, sans concession. Elle nous amène immanquablement à réfléchir au mouvement #balancetonporc, au risque dans l’excès et la peur de punir à outrance : tous les hommes sans distinction sont métamorphosés, mais aussi au danger qui n’attend qu’un moment de faiblesse pour refaire surface : si Ulysse n’avait pas été sous l’emprise de la magie de Circé aurait-il été si prévenant ? Cette nouvelle vision, à la fois féminine et féministe d’une mythologie laissant souvent la part belle aux hommes, nous fait vivre l’épopée différemment, auprès d’une jeune fille souvent moquée, qui deviendra une femme sage et puissante, témoin et actrice des aventures des plus grands héros de son temps. Si vous avez l’envie d’un beau voyage dans l’Antiquité, ne tardez pas à embarquer pour Aeaea et à suivre la trace de Circé.
Petit plus : la couverture du livre est magnifique !

Dans la même veine Madeline Miller a également écrit Le chant d’Achille, un roman d’apprentissage sur la vie du jeune héros qui aima Patrocle de tout son cœur et préféra la gloire à la longévité.

563 p., Éditions Rue Fromentin (2018), Traduit de l’américain par Christine Auché.

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