Station Eleven d’Emily St. John Mandel

« Qu’était la Symphonie sans Dieter, la clarinette et Sayid ? Kirsten considérait Dieter comme une sorte de grand frère, peut-être un cousin, quelqu’un qui faisait partie intégrante de sa vie et de celle de la troupe. Dans l’abstrait, il semblait inimaginable que la Symphonie continue sans lui. Et même si elle n’avait jamais été proche de la clarinette, celle-ci brillait par son absence. Quant à Sayid, elle ne lui adressait plus la parole que pour se disputer avec lui, mais penser qu’il lui soit arrivé malheur était un pur supplice. Elle respirait avec difficulté et pleurait sans arrêt, en silence.
En fin d’après-midi, elle trouva dans sa poche un bout de papier plié en deux. Elle reconnut l’écriture d’August.
Un fragment pour mon ami…
Si ton âme quittait cette terre, je la suivrais pour te rejoindre
Silencieux, mon vaisseau spatial suspendu dans la nuit

Elle lisait un de ses poèmes pour la première fois et en fut prodigieusement émue. « Merci », lui dit-elle quand elle le revit. Il se borna à hocher la tête. »

Dans un monde où la civilisation s’est effondrée, une troupe itinérante d’acteurs et de musiciens parcourt la région du lac Michigan et tente de préserver l’espoir en jouant du Shakespeare et du Beethoven. Ceux qui ont connu l’ancien monde l’évoquent avec nostalgie, alors que la nouvelle génération peine à se le représenter. De l’humanité ne subsistent plus que l’art et le souvenir. Peut-être l’essentiel.

Retour à la science-fiction cette semaine ! Science-fiction certes mais… de terribles airs de réalité et d’actualité. Imaginez un virus de la grippe dévastateur (ce n’est pas trop difficile), en quelques jours quatre-vingt dix-neuf pour cent de la population succombe, plus d’Internet, plus d’électricité, plus d’eau courante, la peur de la contamination, les cadavres qui s’amoncellent, le chaos…
Pour survivre : Shakespeare et Le roi Lear, les costumes, la musique, un musée des souvenirs et une bande-dessinée avec pour héros un certain Dr. Eleven. Magistral !

J’ai lu ce magnifique roman d’Emily St. John Mandel sur les conseils d’un ami et je ne le regrette pas. Même si en ces temps troubles nous pouvons hésiter à lire un ouvrage parlant de pandémie. L’auteure mène habilement son récit, sème des indices, attise notre curiosité, nous pousse à l’aide de mots soigneusement choisis à poursuivre impatiemment la lecture. Nous plongeons directement dans le temps du cataclysme, lorsque tout bascule, qu’il n’y a plus de retour possible, qu’il ne nous reste plus qu’à établir la liste de ce qui ne sera plus. Puis nous découvrons la Symphonie Itinérante, vingt ans plus tard, lueur d’espoir, la part belle donnée au théâtre et à la musique dans un monde qui a bien changé, d’où la peur s’évapore doucement. Alors des objets nous intriguent : les comics du Dr. Eleven, une collection de tabloïds sur un certain Arthur Leander, un presse-papiers. Ces reliques relient le présent au passé, certaines personnes entre elles, elles marquent le passage d’un monde où les paillettes d’Hollywood pouvaient avoir un semblant de sens, à un monde où l’on ne pense qu’à survivre, même si cela ne suffit pas. Emily St. John Mandel nous emmène avec grâce du passé au présent, du présent au passé, les personnages se croisent, évoluent, survivent ou ne survivent pas, souffrent, apprennent à aimer de nouvelles choses, se blessent, se soutiennent, s’entraident. Les villes après la pandémie sont décrites avec justesse, j’ai imaginé chaque instant avec force détails, comme un film de fin du monde dans ma tête. Alors n’hésitez pas à embarquer pour Station Eleven, même si votre avion ne peut plus repartir, le voyage sera riche et porteur d’espoir !

Station Eleven a été finaliste du National Book Award 2014 et a permis à l’auteure d’être reconnue dans le monde entier. L’ouvrage a été traduit dans une vingtaine de langues.
Emily St. John Mandel est une romancière canadienne qui a tout d’abord écrit trois romans policiers avant de proposer un magnifique roman de science-fiction : Station Eleven.

473 p., Éditions Payot et Rivages (2018 pour l’édition de poche), Traduit de l’anglais (Canada) par Gérard de Chergé.

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