
« Notre repas arriva, nous le mangeâmes tout en parlant des incendies de forêt : comme les villes et les usines ils se perpétuaient sans qu’on ait besoin d’intervenir. Ils avaient du bon car ils régénéraient l’endroit même qu’ils avaient brûlé ; quant aux êtres humains, d’après ma mère, eux aussi pouvaient parfois en bénéficier car, face à quelque chose d’aussi incontrôlable et démesuré, vous vous sentiez bien petit et vous rendiez mieux compte de votre position dans le monde. D’une certaine manière, elle comprenait mon père. Il n’était pas du genre à avoir des accès de folie. Il s’agissait simplement pour lui d’un moment difficile, pour elle aussi d’ailleurs. Ça aussi c’était la loi de la nature, dit-elle. Les gens se sentaient attirés par des choses qui ne devaient pas les attirer. Elle semblait heureuse d’être là avec moi, heureuse de voir l’incendie, heureuse que nous ayons pu nous dire tout ça. Là-dessus, nous reprîmes la route de Great Falls. »
« A l’automne de 1960, alors que j’avais seize ans et que mon père était momentanément sans emploi, ma mère rencontra un homme du nom de Warren Miller et tomba amoureuse de lui. C’était à Great Falls, Montana… »
Depuis que son père est parti combattre les incendies de forêt qui ravagent la région, Joe doit faire face à la soudaine désinvolture de sa mère, et à la découverte de sa propre solitude.
Des feux de forêts difficilement contrôlables se sont déclarés cet été là dans les montagnes bleutées proches de Great Falls, le spectacle vaut presque le détour. Cet incendie, qui a démarré par de petits foyers insignifiants, détruit tout sur son passage, à l’image de l’amour de Jerry et Jeannette qui se consume petit à petit, comme l’adolescence de Joe qui disparaît dans les fumées épaisses de la faiblesse révélée de ses parents. En trois jours, qui nous semblent trois mois, le destin de nos trois protagonistes bascule car rien n’est fait pour durer.
Par le prisme de cet incendie qui semble ne laisser aucun répit à la nature sauvage du Montana, Richard Ford nous emmène dans les tourments d’un couple prêt à voler en éclats : Jeannette ne s’habitue pas à la vie dans le Montana et les petits foyers alimentés par les petites contrariétés se sont tous embrasés en même temps ; Jerry perd son emploi, il voudrait éteindre l’incendie mais ne peut rester que spectateur ; Joe est un adolescent solitaire avec pour seuls repères ses parents dont la constance disparaît peu à peu dans les flammes, mais il est bon d’expérimenter l’incendie et de quitter doucement la douceur de l’enfance. Jerry ne part que trois jours affronter les flammes, mais ces trois jours suffisent à Jeannette pour rencontrer un autre homme et trouver un appartement, pendant que Joe envisage de quitter la maison. L’hiver arrive avec ses tempêtes de neige qui devraient lentement éteindre l’incendie ou du moins l’apaiser. Le feu omniprésent permettra de faire table rase des doutes et du porche de l’amant insipide. Des cendres, un nouvel équilibre émergera à tâtons. Un roman à l’écriture fluide, qui se lit en peu de temps, quelques jours dans la vie d’un couple qui chancelle, pour nous rappeler que nous ne pouvons vivre dans l’éternité et que nous n’aurons pas le choix parfois que de renoncer. Ce roman d’apprentissage, tout en étant moins sombre, m’a tout de même évoqué à certains moments La mort du petit cœur de Daniel Woodrell, que j’avais beaucoup aimé. Pour découvrir Richard Ford, je vous recommande plutôt de commencer par Canada, que j’avais trouvé plus percutant.
Richard Ford est un écrivain américain né en 1944. Il a écrit de nombreux romans récompensés, dont Canada, prix Fémina 2013.
Une saison ardente (Wildlife) a été adapté au cinéma en 2018 par Paul Dano, avec Jake Gyllenhaal et Carey Mulligan
213 p., Éditions de l’Olivier (1991, pour la traduction française), Éditions Signatures Points (version poche), Titre original :Wildlife, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-Odile Fortier-Masek.
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