
« Brava Dulce, avait dit à la fin Atchutchi. Seulement je ne sais pas si on va pouvoir te garder. Je ne les ai jamais vus me mettre une telle pagaille.
Elle avait commencé à venir plus souvent, gagné en aisance au micro, s’était habituée à chanter en même temps que Malan, ajoutant sa couleur, devinant d’elle-même à quels moments rester en retrait et se contenter de doubler les chœurs d’un simple fredonnement, à quels moments au contraire oser une phrase qui les étourdissait tous de grâce.
Un soir de concert la petite Dulce était devenue Dulce tout court, connue de la ville entière, célébrée même par un journaliste qui ne s’était pas trompé en l’appelant la nouvelle arme secrète du Mama Djombo.
Le lendemain du concert à Bubaque il y en avait eu un deuxième, dans un minuscule bar de la ville, une soirée qui s’était éternisée et où Couto avait bien cru que la bière aidant ce chacal de Chico allait lui brûler la politesse. Mais le matin au réveil, c’était sa nuque à lui que Dulce était venue effleurer en se levant. »
Guinée-Bissau, 2012. Guitariste du Mama Djombo, un groupe fameux de la fin des années 1970, Couto vit d’expédients. Alors qu’un coup d’État se prépare, il apprend la mort de Dulce, la chanteuse. Le soir tombe sur la capitale, les rues bruissent, Couto déambule. Dans ses pensées trente ans défilent, souvenirs d’une femme aimée, de la guérilla contre les Portugais, mais aussi des années fastes d’un groupe qui joua une musique neuve, portée par l’élan et la fierté d’un pays. Au cœur de la ville où l’on continue de s’affairer, indifférent aux premiers coups de feu qui éclatent, Couto et d’autres anciens du groupe ont rendez-vous : c’est soir de concert au Chiringuitó.
Tout d’abord mettez Super Mama Djombo en fond musical. Pour ma part, ils m’auront accompagnée pendant 3 jours ! Puis une fois imprégné de l’ambiance douce, chaude et sensuelle du goumbé vous pouvez commencer votre lecture. Laissez vous alors porter par la magie des instruments, un amour pour une femme à la voix transcendante, comme un refrain que vous ne pourrez jamais oublier, un hommage à la musique et à l’amitié, une journée au rythme du quotidien des habitants de Bissau. Sur fond de dictature et d’exils, Sylvain Prudhomme célèbre le groupe Mama Djombo, un pays, un mélange des générations et des cultures. J’ai passé un excellent moment !
Ce roman nous transporte dans les coulisses d’un groupe de musique dont les membres partagent ensemble des émotions très fortes sur scène comme au quotidien. C’est l’histoire d’une amitié indéfectible. Sous forme de documentaire mais dans le même esprit, j’ai tout de suite pensé au film Buena Vista Social Club de Wim Wenders. Je crois que j’ai rapidement prêté les traits d’Ibrahim Ferrer au personnage de Couto. L’histoire d’amour qui s’est tissée entre Couto et Dulce, bousculée par la célébrité et les occasions manquées, m’a replongée dans le magnifique dessin animé Chico et Rita de Fernando Trueba et Javier Mariscal. Ce roman est un mélange de saveurs, de nombreux échos au monde de la musique et à mes expériences cinématographiques passées. L’ouvrage, excellemment bien rythmé, se déroule sur une journée, dont on ressent toutes les ambiances, de la douceur du matin, à la nostalgie du soir, en passant par les bruissements de l’après-midi. Chacun rend hommage à Dulce à sa façon. Il y a mille et une manières de célébrer quelqu’un, de faire en sorte que personne ne l’oublie, la voix de Dulce continuera de résonner dans le cœur de tous. J’ai trouvé très émouvant le passage où les membres contactent leur ami Malan, exilé à Paris, qu’ils n’appellent que pour les mauvaises nouvelles. J’ai également aimé l’espoir, la transmission d’une génération à l’autre de la musique, se perpétuant au travers du jeune groupe de rap, intelligent et impertinent.
Seul petit bémol, je me suis tellement attachée à cette histoire que j’ai été un peu déçue lorsque j’ai compris que le personnage principal de Couto était fictif. Mise à part cette petite déception, je vous recommande fortement ce très joli roman.
Sylvain Prudhomme est auteur de romans mais également de reportages. Nombre d’entre eux portent sur l’Afrique où il a vécu et travaillé.
Les grands a été désigné « révélation française de l’année 2014 » par le magazine Lire. L’auteur entretient de très bonnes relations avec deux anciens membres du groupe Super Mama Djombo avec qui il crée des lectures musicales.
247 p., Éditions Gallimard, Collection l’Arbalète (2014), Collection Folio pour le format poche.
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