Vues sur la mer d’Hélène Gaudy

« Jeanne attend que résonnent dans l’escalier les pas d’Adrien. Elle se dit, c’est ça, le réceptionniste me laisserait seule, seule comme maintenant, sauf que je n’aurai rien à attendre. Rien ni personne. Elle guette les pas sur le vieux bois qui craque. Cela fait des mois qu’Adrien doit changer l’ampoule dans l’escalier. La nuit il faut monter dans le noir, s’appuyer aux murs, vers la verrière du deuxième qui dispense une vague lumière de lune. Au début, il lui donnait une lampe de poche minuscule qu’elle braquait sur les marches. Maintenant Jeanne connaît l’escalier par cœur. Elle se dit, les couloirs de l’hôtel sûrement seraient sombres. La minuterie parfois s’éteindrait d’un coup et je devrais marcher à tâtons. Trouver la porte de ma chambre. La serrure. J’aurais un peu peur. Juste assez pour me sentir rassurée une fois la porte refermée. Pour m’allonger sur le lit avec l’impression d’avoir échappé à quelque chose. Et m’endormir apaisée. »

Elle s’appelle Jeanne, elle semble fuir quelque chose ou quelqu’un. Dans un hôtel, elle s’installe pour une durée indéterminée. Ces vacances improvisées n’en sont pas, elles ont le goût de la fugue.
A la fenêtre de sa chambre, la vue n’est jamais la même.
Sept fois, cette femme arrive dans un hôtel. Sept fois, elle se heurte aux personnages qui gravitent autour d’elle. Ils se rencontrent, se rapprochent, se perdent. D’un paysage à l’autre, leurs histoires intimes se déplient, se déploient
.

Pour la deuxième fois cette année, j’ai lu un roman d’une centaine de pages. Pour la deuxième fois cette année, je suis émue par des petits détails merveilleusement retranscrits et une plume très poétique. J’admire comment un écrivain parvient, en si peu de pages, à nous transporter dans une bulle hors du temps, nous égarer, nous faire réfléchir, puis doucement nous ramener à bon port. Le temps d’une soirée j’ai fui avec Jeanne dans sept chambres d’hôtels, à la fois si semblables : la n°30, la fenêtre qui ferme mal, la robe rouge ; et pourtant si différentes : à la mer, au cœur de la forêt, dans la douceur de la montagne, à la campagne.

Jeanne fugue loin de la lourdeur du quotidien, du poids de l’attente, de la pesanteur du corps de l’amant. Jeanne se confronte à sept facettes de sa vie : elle-même, son amant, l’enfant quelle n’a pas encore eu, l’enfant qu’elle a été, la femme qu’elle aimerait être, la femme qu’elle craint de devenir, la peur de la solitude. Il nous semble être dans un rêve de Jeanne, la frontière entre imaginaire et réalité est ténue. Parallèlement, les tourments des personnages sont bien réels et l’auteure traduit avec beaucoup de justesse les sentiments que l’on peut avoir. A chaque chapitre nous ouvrons une nouvelle porte, de petits détails ont changé, les scènes semblent se répéter et c’est dans les légères différences que nous progressons de plus en plus intimement dans les préoccupations d’une jeune trentenaire qui a besoin de partir pour mieux revenir. Ce livre est une petite bulle douce introspective à s’accorder par un après-midi d’automne pluvieux.

Hélène Gaudy est une écrivaine française assez diversifiée. Elle a écrit cinq romans adultes, mais aussi de nombreux romans jeunesses. Elle a également participé à plusieurs ouvrages collectifs et des livres d’art.
Vues sur la mer était en deuxième sélection pour le Prix Médicis en 2006.

110 p., Les Impressions Nouvelles (2006), Babel n°1681.

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