Les Furies de Lauren Groff

« Et puis la veille, il avait surpris Lotto et Mathilde ensemble sous la pluie de confettis d’un cerisier en fleur, et soudain, il en avait eu le souffle coupé. Regardez-les ensemble. Si grands, si lumineux. Elle, son visage pâle et blessé, jusque-là aux aguets, et ne souriant jamais, eh bien à présent elle ne cessait plus de sourire. C’était comme si elle avait vécu toute sa vie dans une ombre glacée et que quelqu’un l’avait subitement attirée dans le soleil. Et lui, regardez-le. Son inépuisable énergie totalement concentrée sur elle. Elle aiguisait quelque chose qui menaçait de se diffuser en lui. Il observait ses lèvres tandis qu’elle parlait, puis il prit son menton entre ses doigts avec douceur et l’embrassa, ses longs cils refermés, alors même qu’elle parlait encore, de sorte que sa bouche remuait et qu’elle riait en l’embrassant. Chollie avait immédiatement su que c’était vrai, ils étaient seuls au monde. […] La menace que représentait Mathilde était réelle, avait compris Chollie. Lui, le guerrier, savait reconnaître ses semblables quand il en rencontrait un ou une. Lui, qui n’avait plus de foyer, en avait trouvé un en Lotto ; et elle l’avait usurpé. »

Lotto et Mathilde sont beaux, séduisants, follement amoureux. Promis à un avenir radieux, ils se marient très vite. Dix ans plus tard, Lotto est devenu un dramaturge au succès planétaire ; Mathilde, dans l’ombre, l’a toujours soutenu. Leur couple est l’image type d’un partenariat réussi. Mais les histoires d’amour parfaites cachent souvent des secrets qu’il vaudrait mieux taire…

Voilà un roman qui m’aura totalement sortie de ma zone de confort. Ma première impression, dès la dernière page tournée, a été celle d’une lecture foncièrement déroutante. L’histoire est pourtant assez classique : un couple qui s’aime d’un amour pur, une équipe prête à résister à toutes les épreuves et dans l’ombre quelques omissions pour faire vaciller la flamme. Mais entre un style incisif, un rythme très rapide, une narration originale et une perspective en deux temps, je me suis retrouvée à la fois déconcertée et charmée, sous le coup de la surprise sans relâche. C’est un roman aux mille et une atmosphères : de la rencontre irréelle entre Mathilde et Lotto, aux extraits de pièces de théâtre comme des fragments de vie, en passant par la création d’un l’opéra avec Leo au fond des bois ou l’enfance torturée d’Aurélie, Lauren Groff nous promène entre comédie et tragédie pour un roman foudroyant sur la vulnérabilité de l’amour.

Tout d’abord une petite remarque concernant le titre qui dans sa version originale est Fates and furies. Il est bien dommage que cela n’ait pas été retranscrit dans la traduction car le roman se découpe en deux parties : « fates » puis « furies« . Je pense que nous perdons malheureusement ainsi un peu de l’intention de l’autrice et cela apporterait certainement un éclairage différent à la lecture. Je me suis également questionnée sur certains passages où la traduction m’a semblé un peu bancale. Au-delà de ce manque et malgré une première mauvaise impression sur le style qui s’est rapidement dissipée après une dizaine de pages, j’ai beaucoup aimé ce roman qui a su me confondre et qui m’a emportée dans sa frénésie narrative, où les années passent à toute allure, où subitement nous changeons de point de vue, où la folie n’est pas là où nous l’attendions. L’amour y est abordé sous plusieurs angles : l’amour inconditionnel entre un homme et une femme, l’amour maternel étouffant, l’amour parental évaporé, l’amour fraternel, l’amour intellectuel pour le génie. Il m’a semblé parfois saisir où Lauren Groff souhaitait m’emmener et puis de nouveaux éléments apparaissaient, fléchissant mes impressions, me subjuguant car finalement rien n’est à sens unique, aucune histoire n’est limpide, aucun acte n’est totalement pur, à part peut-être quand il s’agit du splendide Lotto. J’ai eu du mal à me figurer si les personnages étaient beaux ou laids, d’où ils puisaient leur amour, mais cela souligne la subjectivité de la beauté et des sentiments. Un roman plein de nuances dans la narration, dans l’histoire, dans la réflexion qui peut je pense autant conquérir le lecteur que le perdre en cours de route. A vous maintenant de vous faire votre avis !

Lauren Groff est une autrice américaine avec trois romans à son actif. Il semblerait que Les Furies ait été désigné par Barack Obama comme l’un des meilleurs romans de 2015.

520 p., Éditions de l’Olivier (2017), Éditions Points (2018, pour la version poche), Titre original : Fates and Furies, Traduit de l’américain par Carine Chichereau.

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