
« La décentralisation toucha tous les aspects de la vie. On dispersa les services médicaux ; au lieu d’avoir au centre-ville d’énormes hôpitaux assiégés de longues files d’attentes de patients, on créa partout des centres de soins et des cliniques de petite taille, ainsi qu’à l’échelle du quartier un système d’aides médicales à la personne. Les écoles furent réorganisées sur de nouvelles bases en tenant compte de l’avis des enseignants. On décentralisa également l’agriculture, les industries de la pêche et du bois. Les grosses fermes-usines furent fermées grâce à une application stricte de ces lois réglementant l’irrigation qui étaient restées lettre morte avant l’Indépendance ; et l’on encouragea les fermes tenues par des communautés ou des familles étendues.
Selon mes informateurs, tous ces changements aboutirent à de nouvelles évaluations des problèmes liés à la surpopulation, et les prédictions de certains natalistes se révélèrent fondées : il ne semblait plus y avoir de population en trop ! »
Trois États de la côte ouest des États-Unis – la Californie, l’Oregon et l’État de Washington – décident de faire sécession et de construire, dans un isolement total, une société écologique radicale, baptisée Écotopia. Vingt ans après, l’heure est à la reprise des liaisons diplomatiques entre les deux pays. Pour la première fois, Écotopia ouvre ses frontières à un journaliste américain, William Weston.
Au fil des articles envoyés eau Times-Post, il décrit tous les aspects de la société écotopienne : les femmes au pouvoir, l’autogestion, la décentralisation, les vingt heures de travail hebdomadaire et le recyclage systématique. D’abord sceptique, voire cynique, William Weston vit une profonde transformation intérieure. Son histoire d’amour intense avec une Écotopienne va le placer devant un dilemme crucial : choisir entre deux mondes.
Un classique du récit utopique écrit en 1975, qui provoque plaisir, étonnement, beaucoup d’interrogations et qui trouve encore un réel écho de nos jours. Car l’Écotopia, ses trois états de la côte ouest des États-Unis réunis en un seul état aux nouvelles valeurs, ressemble à s’y méprendre à certaines communautés actuelles qui se mettent en place et revendique des idées qu’il ne faudrait pas manquer de défendre et d’instaurer si l’on ne souhaite pas se faire engloutir par notre propre croissance. Je me suis questionnée sur la faisabilité de certains aspects de cette société, j’ai souri face à des principes qui même pour une société écologique en feraient tiquer plus d’un. Écotopia semble le pays où l’expression individuelle et collective est exacerbée et pourtant je n’ai pu m’empêcher de ressentir parfois un certain malaise, comme si cette liberté pouvait sembler manipulée.
J’avais beaucoup entendu parler d’Écotopia et de sa nouvelle traduction chez rue de l’Échiquier, dont la nouvelle collection fiction entre imaginaire et sensibilité du vivant me plait énormément. Écotopia semble comme une prolongation des réflexions déjà proposées dans Le meilleur des mondes ou Fahrenheit 451, où l’on retrouve des personnages aux émotions exacerbées, bousculés dans leurs habitudes, où les dystopies ou utopies envisagées sont finalement criantes de vérité à l’heure actuelle, où les héros me semblent à la fois passionnés mais aussi très froids, aux allures presque androïdes. Dans ce roman d’Ernest Callenbach, j’ai apprécié l’approche journalistique, mêlant journal intime du reporter et articles de presse, comme un réel documentaire sur cet état fictif, parfois excessif et pourtant si réaliste, pointant également l’écart entre le vécu, la réalité et ce qui sera finalement retranscrit dans les média. J’aimerais pouvoir le lire et le relire et analyser chaque précepte qui sous-tend ce nouvel état, à quel point sont-ils réalisables et réellement bénéfiques pour la population et la planète : que penser de la ségrégation raciale qui s’opère d’elle-même, des jeux de guerre, de la nonchalance exaltée, de l’absence de retenue et de pudeur. Force est de constater que dans un premier temps, les bases de ce nouvel état se sont fondées sur la réglementation et non sur le bon vouloir, parfois dans la douleur et l’inconfort, puis la population s’est habituée, accaparée ces nouvelles réglementations pour finalement s’épanouir. Que penser de la présidence de cet état, qui semble à la fois déconnectée du terrain, mais qui donne le sentiment de tout savoir, qui semble avoir laissé entière liberté à son peuple, mais dont le contrôle se fait subtilement ressentir. Ces sociétés qui laissent peu de place au moi sont souvent déstabilisantes et nous ressentons parfaitement le combat intérieur de William, entre manque de sa vie américaine classique, moments de plénitude écotopiens, d’un côté le confort et le superficiel, de l’autre un tout autre mode de vie et une réelle réappropriation de soi, de son corps et de ses émotions. Si vous avez aimé Huxley et Bradbury n’hésitez pas à poursuivre vos lectures avec Callenbach qui laisse entrevoir l’espoir qu’une autre société pourrait être possible.
Écotopia s’est vendu a plus d’un million d’exemplaires dans le monde entier. Son auteur, écrivain, journaliste et critique de cinéma, a écrit quelques ouvrages sur l’écologie. Seul Écotopia a été traduit en français.
304 p., Ernest Callenbach (1975), Éditions Rue de l’Échiquier pour la traduction française (2018), Collection Folio SF pour le format poche (2021), Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent.
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