
« Ce qui s’exprimait dans les salles d’un tribunal, c’était le récit d’existences saccagées, c’était la violence, les blessures d’humiliation, la honte d’être à la mauvaise place, d’avoir cédé aux déterminismes, au désir, à l’orgueil ; d’avoir commis une faute, une erreur de jugement ; d’avoir été léger, cupide, manipulé, manipulable, impuissant, inconstant, injuste, d’avoir trop aimé le sexe, l’argent, les femmes, l’alcool, les drogues ; d’avoir souffert ou fait souffrir ; d’avoir fait confiance, par aveuglement/amour/faiblesse ; la honte d’avoir été violent, égoïste, d’avoir volé/violé/tué/trahi ; de s’être trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, de payer pour son enfance, les erreurs de ses parents, les abus des hommes, leur propre folie ; la honte de dévoiler sa vie, son intimité, livrées sans conditions à des inconnus ; de raconter la peur qui les intoxiquait, comme une seconde peau urticante, une perfusion venimeuse ; la honte d’avoir gâché chacune de ses chances, avec application. »
Les Farel forment un couple de pouvoir. Jean est un célèbre journaliste politique français ; son épouse Claire est connue pour ses engagements féministes. Ensemble, ils ont un fils, étudiant dans une prestigieuse université américaine. Tout semble leur réussir. Mais une accusation de viol va faire vaciller cette parfaite construction sociale.
Un père froid, manipulateur, calculateur, odieux, qui m’a mise très mal à l’aise. Une mère amoureuse, perdue, déstabilisée, qui ne sait plus quel combat mener. Un fils, auquel l’on s’attache sans le vouloir, cliché de ces enfants issus de familles cultivées et aisées, promis à un grand avenir. Une amante qui n’aura pas su être la maîtresse de sa propre vie. Et puis le procès, sordide, sans scrupule pour le coupable comme pour la victime, des vies étalées au grand jour, des émotions réduites à quelques mots, soumises au jugement. Un premier abord difficile pour moi, une trame qui met un peu de temps à se mettre en place, et puis soudainement un livre que je n’ai plus voulu lâcher.
Les choses humaines est un roman qui a beaucoup fait parler de lui à sa sortie, que l’on m’a conseillé à plusieurs reprises, et que je viens enfin de lire suite à un passage à la médiathèque de Quimper. Je dois l’avouer la première partie ne m’a pas beaucoup emballée. Les personnages sont froids et impitoyables, ils semblent seulement mués par le sexe, le pouvoir et le paraître. Nous les découvrons petit à petit. Je ne me sentais pas du tout à l’aise à leurs côtés.
Puis nous entrons dans la deuxième partie, le point de bascule, où brusquement mon attrait pour le récit s’est intensifié, le cours de l’histoire a pris un autre tournant : un viol, un procès, une tension palpable, une empathie qui s’étoffe petit à petit. D’autant plus que le lecteur sait que la mécanique si bien huilée va s’enrayer mais jusqu’au dernier moment il ne sait pas qui commettra l’erreur. Nous suivons alors le procès dans son rythme si particulier, deux ans d’attente, la fin de toute intimité, des temps de parole rapides, des décisions qui influeront sur le cours de la vie de plusieurs personnes. J’ai beaucoup apprécié que ce procès ne se fasse pas d’un seul point de vue, bien au contraire, nous voyons les scènes du regard de chaque personnage, et cela m’a confondue et questionnée. Faut-il pardonner et alléger la peine encourue par un homme qui aura commis une erreur de jugement ? Faut-il se ranger du côté de la victime, brisée et accabler le coupable ? Comment savoir où réside la vérité ? La vérité peut-elle être subjective ? Les points de vue s’alternent, le lecteur semble assister en direct au procès et devoir décider de la sentence. Je me suis sentie impliquée et j’ai presque senti le poids sur mes épaules de devoir prendre une décision qui ne semblait pas évidente du tout.
Seule la figure du père, Jean, restera pour moi incompréhensible, atroce, très égoïste, jusqu’à son amour pour Françoise, qu’il vit dans un seul sens, le sien. A aucun moment il n’éprouvera de compassion que ce soit pour son fils, sa femme, sa maîtresse ou la victime du viol. Un peu trop caricatural ? Je lis de nombreux romans noirs, aux héros (et anti-héros) torturés, souvent gris, qui commettent de nombreux impairs, mais auxquels je m’attache tout de même, pour qui j’espère une rédemption. Cela ne sera jamais le cas pour Jean.
Les choses humaines est pour moi une découverte de la plume de Karine Tuil, très prenante et troublante, que je vous invite à découvrir à votre tour, si vous avez l’envie d’un récit oppressant, implacable et percutant.
Les choses humaines est le onzième roman de Karine Tuil. Il a reçu le Prix Goncourt des Lycéens et le Prix Interallié en 2019.
342 p., Éditions Gallimard (2019), Collection Folio (2021).
Votre commentaire