
« La Volte n’a pas besoin de moi pour vivre et se battre. Personne n’a besoin de personne pour se battre. Elle continuera sans moi. Avec la rage au ventre. Et cette rage-là la rendra plus violente, plus tranchante, prête à tout pour venger celui qu’on aura appelé le martyr de la démocratie… Tôt ou tard, la vérité sur la machination éclatera au grand jour, catalysant les contestations latentes, et la volution se propagera comme une nappe d’ox enflammée… Sans moi. Sans moi et pourtant grâce à moi, grâce à ma mort… On cassera tous les cercles ! On en fera des ellipses, des paraboles, des tortillons dans tous les sens… Le grand périphérique externe sera ouvert sur le dehors et on le baptisera voie Capt… On apprendra l’histoire de ma vie dans les écoles, mon enfance secrète, ma timide adolescence… comment j’étais entré à la Volte, quel chef j’étais, à quel point j’étais bon, intelligent et généreux, on réinventera tout mon dialogue avec A, plein de phrases épatantes…
Des conneries, tout ça.
Il faut que je retrouve ma lucidité. Qu’est-ce que je veux ? Qu’est-ce que j’ai toujours voulu ? Pourquoi je me bats ? Pour la liberté. »
2084. Orwell est loin désormais. Le totalitarisme a pris les traits bonhommes de la social-démocratie. Souriez, vous êtes gérés ! Le citoyen ne s’opprime plus : il se fabrique. A la pâte à norme, au confort, au consensus. Copie qu’on forme, tout simplement. Au cœur de cette glu, un mouvement, une force de frappe des fous : la Volte. Le Dehors est leur pays, subvertir leur seule arme. Emmenés par Capt, philosophe et stratège, le peintre Kamio et le fulgurant Slift que rien ne bloque ni ne borne, ils iront au bout de leur volution – et même au delà, jusqu’à construire cette vie de partage, rouge, que personne ne pourra plus leur délaver.
Nous sommes en 2084. Un peu à l’écart des dictatures affichées de 1984 et de Fahrenheit 451, nous voilà au cœur d’une social-démocratie qui a su endormir les esprits en assurant confort et sécurité. Mais dans cette société aseptisée, ceux qui connaissent encore l’ancien monde, ceux qui veulent sortir de cette gestion implacable, ceux qui veulent vivre d’émotions et de partage se soulèvent contre ce régime lisse et égoïste pour éveiller et électriser les esprits. Un roman coup de poing mêlant habilement science-fiction, politique et poésie, sous la plume d’Alain Damasio, qui manie le verbe avec art et sait construire des personnages profonds au caractère marqué. Un ouvrage que j’avais envie de relire à peine la dernière page tournée, pour m’imprégner de cette réflexion percutante et déstabilisante sur nos sociétés contrôlées et censurées, sur le pouvoir et la manipulation, sur le pourquoi de nos combats et sur l’amitié.
Pour la deuxième fois Alain Damasio m’a emmenée au cœur d’un récit de science-fiction fort, dépaysant et terriblement intelligent. Comme toujours il faut prendre le temps de s’imprégner du style, d’un nouvel univers et du changement récurrent de point de vue – un peu plus facile à suivre toutefois que pour La Horde du Contrevent. Puis il n’y a plus qu’à se laisser porter et convaincre jusqu’à avoir l’envie nous aussi de défendre nos convictions aux côtés de la Volte. Les personnages ont des personnalités denses et un caractère souvent attachant. Que l’on suive le brillant Capt, le peintre Kamio, le jeune papa Brihx, la douce et surprenante Boule de Chat ou Slift le compagnon brut de décoffrage, nous partageons leurs émotions et leur ressenti avec force, notre cœur battant au rythme de leurs actions, de leurs réflexions, de leurs déceptions et de leurs victoires. Les personnages plus antipathiques comme le Président sont également complexes et leurs discours sont très intéressants à analyser. L’univers décrit donne une impression de réalité troublante et dérangeante : les nouvelles villes construites pour échapper à une terre dévastée, le classement des êtres humains, le risque lié aux radiations, l’espionnage légal de ses voisins, l’omniprésence de la réalité virtuelle. Je pourrais passer beaucoup de temps à réfléchir sur ce roman et vous en proposer une analyse. Comme je vous le disais plus haut une relecture ne serait pas de trop. Mais je préfère ne pas vous en dire plus et vous laisser vous faire votre propre avis. Dans tous les cas, je le recommande sans hésitation aux amateurs de George Orwell et de belle plume exaltante et éloquente. Pour ma part, je n’ai plus qu’à me procurer Les Furtifs pour compléter mon immersion dans les mondes ingénieux et saisissants de Damasio.
La Zone du dehors est le premier roman d’Alain Damasio. L’édition de 2007 était accompagnée d’un DVD comprenant un court-métrage d’animation et de nombreux bonus. Il existe également une adaptation théâtrale de ce roman.
Alain Damasio est un artiste multiple qui a participé à des créations sonores, au script de jeux vidéos et animé de nombreuses conférences.
493 p., Éditions La Volte, 2007 (première édition Cylibris, 1997).
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