
« Le lendemain matin, Kya eut envie de se précipiter de nouveau vers la souche pour voir si une autre [plume] n’y avait pas été laissée, mais elle se força à attendre. Elle ne devait pas risquer de croiser ce garçon. Au bout du compte, en fin de matinée, elle se dirigea vers la clairière dont elle s’approcha lentement, l’oreille tendue. Elle n’entendit rien, ne vit personne, donc elle s’avança et un sourire furtif et rare lui illumina le visage quand elle découvrit une fine plume blanche fichée dans la souche. Elle allait du bout de ses doigts à son coude, et s’incurvait avec grâce jusqu’à son extrémité pointue. Elle la souleva et se mit à rire. Une magnifique plume de queue d’un phaéton. Elle n’avait jamais vu aucun de ces oiseaux de mer qui ne vivaient pas dans la région mais, en de rares occasions, étaient portés vers la terre sur les ailes d’un ouragan.
[…] Son talent avait mûri et elle était désormais capable de dessiner, peindre, ou esquisser n’importe quoi. A l’aide de craies ou de pastels achetés au bazar, elle représentait les oiseaux, les insectes ou les coquillages sur des sacs en papier et les accrochait aux pièces de sa collection. Cette nuit-là, elle décida de dépenser sans compter, alluma deux bougies au centre de soucoupes sur la table de la cuisine afin de distinguer toutes les nuances de blanc et de pouvoir peindre la plume du phaéton. »
Pendant des années, les rumeurs les plus folles ont couru sur « la Fille des marais » de Barkley Cove, une petite ville de Caroline du Nord. Pourtant, Kya n’est pas cette fille sauvage et analphabète que tous imaginent et craignent. A l’âge de dix ans, abandonnée par sa famille, elle doit apprendre à survivre seule dans le marais, devenu pour elle un refuge naturel et une protection. Sa rencontre avec Tate, un jeune homme doux et cultivé qui lui apprend à lire et à écrire, lui fait découvrir la science et la poésie, transforme la jeune fille à jamais. Mais Tate, appelé par ses études, l’abandonne à son tour. La solitude devient si pesante que Kya ne se méfie pas assez de celui qui va bientôt croiser son chemin et lui promettre une autre vie. Lorsque l’irréparable se produit, elle ne peut plus compter que sur elle-même…
Ce roman a beaucoup fait parler de lui et continue à faire couler de l’encre. Bien souvent cela me fait hésiter à m’engager dans une lecture. Mais ma curiosité était piquée, notamment parce que ce récit aborde entre autres la question de l’écologie du point de vue du biologiste. Alors lors d’un passage à la médiathèque je me suis décidée. Un peu sceptique à la lecture des premiers chapitres, notamment l’enfance de l’héroïne, j’ai fini par me laisser porter par la très belle plume de Delia Owens, par cette aventure atypique dans les marais où chaque élément de la nature semble prendre vie, par une enquête que l’on suit en parallèle et qui fait lentement se resserrer l’étau autour d’une héroïne éprise de liberté. J’ai aimé la vie dans les marais, la douceur de nombreuses scènes, cet émerveillement pour les petites choses que l’on perd si vite, un suspense que l’autrice aura su faire durer jusqu’au bout. Les poèmes disséminés au fil du texte m’ont beaucoup touchée. Je regrette peut-être un destin qui peut sembler improbable mais une sorte de magie semble émaner de ces marais maintes fois arpentés alors le lecteur a envie d’y croire.
Le titre et la couverture m’ont tout de suite parus très attirants : un magnifique héron cendré, oiseau souvent rencontré mais qui sait rester énigmatique et un lieu, Là où chantent les écrevisses, dont on ne sait pas s’il existe mais que l’on souhaite déjà découvrir. J’ai beaucoup aimé le calme et la douceur qui se dégagent de ce roman et qui en font sa force. J’ai aimé des personnages ambivalents, où chacun se débrouille avec ses aspirations, avec ce que la vie leur donne et qui bien souvent, comme dans toute existence, se retrouvent pris entre plusieurs feux, entre ce que le cœur réclame et ce que la société et les autres attendent. Le rythme, entre le déroulé de la vie de Kya et l’enquête, est parfaitement bien mené et crée une réelle ambiance mystérieuse qui amène à s’interroger sur tous les coupables possibles jusqu’au dernier instant, sans tomber dans le classique twist final improbable. Une lecture idéale en cette période hivernale sous un plaid avec un bon chocolat chaud, avant de retourner profiter de longues balades à l’écoute de la nature aux premiers jours du printemps. Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de le lire ou si comme moi vous avez retardé le moment, mais n’hésitez pas à vous plonger dans cette histoire qui mêle habilement poésie, écologie et crime, pour une lecture aussi apaisante que palpitante.
Delia Owens est née en 1949. Zoologiste et biologiste de formation, Là où chantent les écrevisses est son premier roman. Il a rencontré un vif succès et sera très prochainement adapté au cinéma.
376 p., Éditions du Seuil (2020), Traduit de l’américain par Marc Amfreville, Titre original : Where the crawdads sing.
Un récit qui donne envie! 🙂
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Un roman à découvrir 😉 La version audio est semble-t-il aussi très bien !
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