Les livres de la terre fracturée – 1. La cinquième saison de N.K. Jemisin

« Sous vos pieds – sous les pieds de Tirimo tout entier –, naît une secousse. Presque imperceptible, au départ. Sans que personne en soit averti par la valuation ou un cliquetis quelconque – contrairement à ce qui se passerait si la terre était à l’origine de son propre mouvement. Voilà pourquoi les gens comme eux ont peur des gens comme vous. Vous échappez aux domaines de la raison et de la prévention. Vous êtes une surprise, au même titre qu’une rage de dents ou une crise cardiaque. La vibration que vous provoquez croît à toute allure pour devenir grondement de tension, perceptible par les oreilles, les pieds, la peau, sinon les valupinae, mais il est déjà trop tard. […]
La vallée se déchire. Le choc initial est assez violent pour jeter tout le monde à terre et secouer toutes les constructions de la ville. Elles se mettent ensuite à vibrer, à s’entrechoquer, car la secousse se fond en une vibration régulière ininterrompue. […]
Vous ne répandez pas seulement la mort parmi vos concitoyens, bien sûr. Un oiseau, perché non loin de là sur une barrière, en tombe, également congelé. L’herbe croustille, le sol durcit, l’air siffle et rugit, dépouillé de son humidité et de sa densité… mais personne ne pleure les vers de terre. »

La terre tremble si souvent sur votre monde que la civilisation est menacée en permanence. Le pire s’est d’ailleurs déjà produit plus d’une fois : de grands cataclysmes ont détruit les plus fières cités et soumis la planète à des hivers terribles, d’interminables nuits auxquelles l’humanité n’a survécu que de justesse. Les gens comme vous, les orogènes, qui possèdent le don de dompter volcans et séismes, devraient être vénérés. Mais c’est tout l’inverse. Vous devez vous cacher, vous faire passer pour une autre. Jusqu’au jour où votre mari découvre la vérité, massacre de ses poings votre fils de trois ans et kidnappe votre fille.

Un roman fantasy brut comme ses héros, un monde dans lequel les saisons s’enchaînent au gré des mouvements impétueux de Père Terre, la présence rassurante et inquiétante des orogènes, des humains ayant le pouvoir de communiquer avec la roche et de la contrôler. Je me suis laissée entraîner dans un monde dur où la pierre ne pardonne pas, dans un monde impitoyable où il ne fait pas bon être différent, dans un monde sensuel où la tendresse trouve son chemin, dans un monde brûlant où la terre tremble, dans un monde cristallin où la roche recèle des mystères.

Je lis très peu de fantasy, la dernière saga m’ayant emportée étant certainement Les aventuriers de la mer il y a de cela bientôt vingt ans. Alors c’est avec un peu de scepticisme que je me suis plongée dans cette trilogie de Jemisin recommandée par une amie. Après quelques pages pour m’imprégner de ce monde inattendu, de cette nouvelle atmosphère et de ce vocabulaire quelque peu rouillé, je suis tombée sous le charme de la plume de l’autrice, fluide et mystique. Certains chapitres à la première personne m’ont ramenée aux livres dont on est le héros de ma jeunesse et m’ont permis de m’immerger entièrement aux côtés d’Essun. Je n’attendais plus que la consigne « Si vous voulez vous battre rendez-vous page…, si vous voulez coopérer rendez-vous page… ». C’était un réel plaisir de retrouver cette ambiance roliste, l’alternance avec des chapitres plus classiques évitant toute monotonie. Les personnages aux multiples facettes sont ambivalents, profonds et attachants. Toutefois tous semblent entravés dans le carcan d’une société rigide et cachent de terribles blessures. La force, la puissance et l’intelligence n’adoucissant pas les peines. L’autrice joue avec le temps, la chronologie et nos émotions. Nous oscillons entre satisfaction quand les rouages se mettent en place, douceur quand nos héros trouvent un peu sérénité et effroi lorsque la terre se réveille et que les Gardiens s’en mêlent. Les sentiments et les ressentis sont retranscris avec une grande justesse, tant dans l’intensité d’une douleur physique, que dans le plaisir d’une caresse.  Vous l’aurez compris, ce premier tome plante le décor d’une saga remarquable qui m’a transportée. Je n’avais qu’une envie y revenir dès que possible. Je vais donc de ce pas à la librairie, trouver le tome 2 et poursuivre mes aventures aux côtés d’Essun, de Syénite et de Damaya.

Née dans l’Iowa en 1972, titulaire d’un master de psychologie, membre d’influents groupes d’écriture et militante féministe, N.K. Jemisin est l’autrice d’une dizaine de romans. La trilogie de la Terre fracturée est la première de l’histoire à avoir obtenu trois prix Hugo.

540 p., Éditions J’ai lu pour la traduction française (2017), traduit par Michelle Charrier.

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