
« Jean, dont la tête venait de reparaître à l’air libre, me fit passer une casquette en me disant qu’il n’avait trouvé que ça. C’est super, lui dis-je. C’est mieux que rien, rectifia-t-il, et après s’être emparé du sac plastique que Jeanne lui avait confié, il disparut à nouveau. Je considérai un instant la casquette, mais la main de Jeanne déjà se posait sur mon épaule. Je me laissai embrasser sur la joue, avant d’aller chercher la sienne, dont par la force des choses, je m’approchai. Sa peau était brune, parsemée de taches de son. Et alors que je tendais l’autre joue, Jeanne me demanda si j’étais seul. […]
Je retirai ma casquette et m’essuyai le front. Sur le devant, l’inscription « Vendée-Globe 2011 – Les Sables d’Olonne » était brodée en lettres blanches. Je mis un temps avant de comprendre. Pour moi, la course en solitaire, jusque-là, s’écrivait Vent des globes. »
Jean, mon frère, venait d’acheter un voilier et m’invitait à passer quelques jours en mer. Je n’étais pas certain que ce soit une bonne idée que nous partions en vacances ensemble.
Quand je dis « nous », je ne pensais pas à Jean.
Je pensais à Jeanne.
A Jeanne et à moi.
En moins de 100 pages, l’auteur nous emmène au cœur d’un triangle amoureux en huis-clos dont la personne trompée n’est peut-être pas celle que l’on pense. Il traduit avec justesse l’ambiance sur ce voilier de plaisance, le roulis permanent, la chaleur étouffante, les odeurs écœurantes, le plancton luminescent, l’espace exiguë. Pierre et Jean sont frères. Jean est en couple avec Jeanne, ils veulent faire le tour du monde. Pierre est accompagné de Lone qui s’ennuie. Les corps de Jeanne et Pierre, plein de souvenirs, se rejoignent dans la cabine. Un peu court mais beaucoup d’intensité et une écriture infaillible.
Je recommande vivement cette lecture pour un soir d’été justement, ou un matin de printemps, en terrasse, au soleil. De format court, ce roman se lit très vite, mais il arrive en quelques pages à nous emporter, la chute finale venant clore ce huis-clos étouffant avec brio. On y retrouve la complexité des relations : amicales, fraternelles, amoureuses. Comment l’être aimé, nimbé de souvenirs, devient un être fantasmé. « ma Jeanne à moi » : belle, érotique, séduisante. « sa Jeanne à lui » : pieuse, pragmatique, à la beauté vieillissante. Le triangle amoureux et les relations fraternelles ambiguës sont des sujets récurrents en littérature, bien souvent accompagnés d’une atmosphère pesante (Au-dessous du volcan, Le bison de la nuit), comme si, une fois pris au piège de nos passions, de nos désirs, de nos émotions, il n’y avait plus d’issue.
Un été a reçu le pris Françoise Sagan en 2015. Jeune auteur, Vincent Almendros a pour le moment écrit trois romans : Ma chère Lise, Un été et Faire mouche en 2018. Ces romans, toujours très courts, tiennent quasiment de la nouvelle et permettent de s’évader le temps d’une soirée ou d’une matinée ensoleillée.
95 p., Les Éditions de Minuit (2015), Collection « Double ».
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