Sur le vif d’Elizabeth Acevedo

« Tout le monde se met en place en deux temps trois mouvements, et je retrouve Richard et Amanda à notre plan de travail. On est chargés de préparer des bouchées de patates douces, cuites en cocotte, à l’espagnol. C’était mon idée : un plat de Noël du sud des États-Unis, avec un soupçon d’Andalousie. La plupart des entrées ont été préparées à l’avance, donc il suffit de les mettre au four et de compléter avec les garnitures. Je commence à servir les patates douces dans de grandes cuillères en céramique, pendant que Richard les garnit de noix caramélisées et de saucisse espagnole. Il y a trois mois, la plupart d’entre nous n’avaient jamais goûté de cuisine espagnole, et voilà que ce soir on sert un banquet quasi espagnol.
[…] La soirée avance de manière aussi chaotique et véloce qu’Angelica quand elle débarque dans une pièce. Avant que j’aie le temps de m’en apercevoir, le dernier plat – des apple pies individuelles – est parti, et la seule chose qu’il reste à faire, c’est de sortir de là et tirer sa révérence.
Ça fait bizarre de quitter la cuisine. Comme si j’étais toute nue. Il y a mon empreinte sur la recette de chaque plat qui est parti de cette cuisine et, que les gens aient aimé ça ou pas, ça me concerne directement. »

Entre ses mains, saveurs et épices composent des plats incomparables. Mais Emoni a aussi une petite fille de 2 ans, et elle jongle entre le lycée, son rôle de jeune mère et le travail le soir pour aider sa grand-mère à payer les factures. Emoni ne pense pas qu’elle pourra faire des études, encore moins devenir cheffe dans un restaurant. Dans sa vie faite de responsabilités, il n’y a pas de place pour le rêve. Portant, l’ouverture dans son lycée d’un nouveau cours d’arts culinaires pourrait bien lui permettre de déployer son talent.

Je n’accroche pas beaucoup aux romans pour adolescents mais celui-ci aura fait exception, à commencer par la couverture pétillante qui donne des envies de soleil et qui propose déjà mille saveurs. La plume de l’autrice est fluide et très plaisante à lire. Le roman aborde de nombreux sujets comme le racisme, la maternité, les choix pour le futur, les premiers émois amoureux et sexuels, la perte d’un proche, l’homosexualité. Et même si certains sujets auraient pu être un peu plus approfondis, voilà un récit à la fois doux et dynamique, parfait pour l’été, pour les ados entre 14 et 17 ans, pour vibrer un peu et avoir envie de se mettre en cuisine et de voyager, surtout que 3 recettes vous attendent au détour des chapitres.

Si vous avez envie de notes douces et épicées réveillant vos émotions (j’ai retrouvé dans ce roman un petit air du Restaurant de l’amour retrouvé d’Ogawa Ito), si vous avez envie de voyager en Espagne, si vous avez envie d’un roman qui donne un peu de baume au cœur et l’envie de concrétiser ses projets, si vous avez envie d’un récit pétillant, Sur le vif saura certainement répondre à vos attentes. Les mots de l’autrice m’ont beaucoup plu, mais le récit reste tout d’abord à destination d’un public ado. Je crois que c’est un roman que j’aurai beaucoup aimé lire au moment de faire mes choix pour les études supérieures, au moment où finalement nous basculons de l’adolescent spontané à l’adulte qui prend des décisions, parfois sûrs de nous-mêmes, parfois la tête encore pleine de doutes, parfois en se laissant simplement porter. J’ai aimé ce regard adolescent qui même dans des situations douloureuses essaie de savourer les petits moments que la vie peut offrir : une glace, un bon repas, un moment à deux. Ces petites choses que nous avons tendance à oublier une fois adultes, pris dans l’enchaînement des événements, accordant parfois trop d’importance à ce qui ne le mérite pas. Des adolescents qui se confrontent aux adultes : ceux qui comprennent et les aident ; ceux qui n’arrivent pas à saisir que même à un si jeune âge on se retrouve parfois avec de lourdes responsabilités. J’ai eu un petit coup de cœur pour la grand-mère, drôle, courageuse et amoureuse. C’est un récit vif, bouillonnant et chaleureux, un petit peu comme lorsqu’on se retrouve à opérer derrière les fourneaux. La cuisine devient alors comme une métaphore de comment nous décidons de prendre notre vie en main et je trouve que ça fonctionne !

« La seule question que je me posais, c’était : Est-ce que j’en suis capable ? Et je me suis aperçue qu’il n’y aurait jamais de bonne réponse pour tout le monde, juste une bonne réponse pour moi. »

« Parce qu’aujourd’hui je suis toute seule, dans ma cuisine, avec un repas que j’ai cuisiné moi-même. Je m’assieds à table et je me coupe une part de lasagnes. Je ne sais pas qui je vais être, qui je ne serai pas ; mes désirs s’étalent en couches épaisses, comme ce plat, mais je sais qu’un jour je serai une femme, adulte, pour de vrai. Alors je m’autorise à profiter du repas, de l’instant, et de ma propre compagnie. »

Elizabeth Acevedo est une autrice née à New-York, fille d’immigrants dominicains, son premier roman, Signé Poète X, a reçu le National Book Award et la médaille Carnegie.

413 p., Éditions Nathan (2021), traduit de l’américain par Clémentine Beauvais, Titre original : With the fire on high.

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